OBÉSITÉ - Identification d’un facteur génétique

OBÉSITÉ - Identification d’un facteur génétique
OBÉSITÉ - Identification d’un facteur génétique

Obésité: identification d’un facteur génétique

Des travaux menés simultanément en France, aux États-Unis et en Finlande, publiés en 1995, montrent qu’un type de récepteur cellulaire à l’adrénaline localisé dans le tissu adipeux peut être impliqué dans l’obésité, le diabète non insulino-dépendant et l’insulino-résistance. L’association très fréquente de ces trois maladies étant connue depuis longtemps, de même que l’existence de risques familiaux, c’est donc l’un des facteurs héréditaires communs qui a été découvert.

Le récepteur en question, appelé 廓3-adrénergique, régule l’utilisation au repos des corps gras stockés dans l’organisme. Deux formes du récepteur 廓3 sont observées dans la population; elles correspondent à deux allèles du gène codant pour la synthèse du récepteur dans le tissu adipeux. L’une des deux formes du récepteur réduit au minimum la consommation de graisses (lipides). Néanmoins, le fait d’hériter d’un allèle d’épargne, voire de deux, ne constitue pas en soi un facteur déterminant ce type de maladie nutritionnelle: il s’agit seulement d’un facteur accélérant et aggravant les anomalies métaboliques. À côté du récepteur 廓3-adrénergique et de son gène figurent, dans l’étiologie du diabète ou de l’obésité, à la fois d’autres gènes, qui restent à découvrir, et des facteurs d’environnement et de comportement. Ces maladies sont clairement multifactorielles; les thérapies devront donc également être multifactorielles. Des essais de stimulation pharmacologique du récepteur 廓3 sont cependant d’ores et déjà en cours.

Les récepteurs adrénergiques

Un certain nombre d’activités ou de paramètres essentiels de l’organisme, comme le rythme cardiaque, la tension artérielle, la concentration de sucres dans le sang, sont régulés, partiellement au moins, par les sécrétions surrénaliennes d’adrénaline. Ces sécrétions agissent par l’intermédiaire de récepteurs cellulaires, exprimés dans les tissus régulés: le récepteur cardiaque 廓1-adrénergique ou le récepteur pulmonaire 廓2, par exemple. Les récepteurs adrénergiques de type 廓3, découverts en 1989 (A. D. Strosberg) chez l’homme, dans les cellules stockant les graisses, puis caractérisés dans le tissu adipeux des rongeurs où ils ont pu être étudiés, ont, eux, rapidement été soupçonnés d’intervenir dans la régulation du métabolisme des lipides.

On a en particulier pu mettre en relation l’obésité de certaines lignées de souris avec l’inactivation du récepteur 廓3. En outre, il avait été noté que l’interaction du récepteur 廓3-adrénergique et d’une protéine dite découplante permettait aux rongeurs d’entrer en hibernation. C’est alors un tissu adipeux spécifique des rongeurs, dit tissu brun, qui stocke les lipides. Ce tissu brun n’a pas d’équivalent chez l’homme. Pourtant, l’hypothèse retenue par les équipes de recherche était que, chez l’homme aussi, le récepteur 廓3 contrôle la lipolyse et la thermogenèse au repos, de la même manière que chez les rongeurs, quoique dans des amplitudes très différentes. Comme on savait par ailleurs que l’activité métabolique au repos est une caractéristique génétique chez l’homme, le récepteur 廓3-adrénergique et son gène ont été proposés comme “candidats” pour cette fonction.

Cette hypothèse en appelle une seconde: l’implication du récepteur 廓3-adrénergique dans les troubles métaboliques liés à un défaut d’utilisation des lipides, comme le diabète non insulino-dépendant (D.N.I.D.), l’obésité ou encore l’insulino-résistance, manifestation annonçant ou accompagnant le diabète et caractérisée par l’insensibilité du métabolisme glucidique à l’insuline, pourtant normalement sécrétée.

Ces trois maladies entretiennent d’étroites relations métaboliques, ce dont témoigne la fréquence de leur association chez une même personne. Et comme l’hérédité joue un rôle important dans le D.N.I.D. ou l’obésité, on postula l’existence de facteurs génétiques communs. S’agissant d’une hérédité complexe, non mendélienne, le plus vraisemblable était d’avoir affaire non à un ou à quelques gènes pathologiques mais à un grand nombre de gènes, déterminant par leurs interactions une susceptibilité plus ou moins importante, révélée ensuite ou non par des facteurs de l’environnement. Le gène du récepteur 廓3-adrénergique paraissant là encore un bon candidat, on a cherché à savoir dans quelle mesure l’une des différentes formes alléliques du gène pouvait être ou non un facteur héréditaire de susceptibilité au D.N.I.D. et à l’obésité.

Le gène codant le récepteur 廓3 est connu sous deux formes alléliques, différant l’une de l’autre par une substitution de base en position 190. Dans l’allèle le plus fréquemment rencontré, on trouve à cette position une thymine, à laquelle est substituée une cytosine dans l’autre allèle. Les deux formes du récepteur portent donc respectivement, comme soixante-quatrième acide aminé, un tryptophane (codon TGG), et une arginine (codon CGG).

L’allèle Arg 64, moins fréquent que l’allèle Trp 64, peut être qualifié de “muté”, à condition toutefois de ne pas perdre de vue qu’il ne s’agit pas d’un allèle “anormal”, par opposition à un autre qui serait “normal”. L’allèle n’est pas morbide en soi. Et, quoique minoritaire, il n’est pas rare dans la population, où l’on observe un véritable polymorphisme.

C’est ce polymorphisme qui a été étudié dans plusieurs groupes de personnes, malades ou non, pour tenter de mettre en évidence une association statistique – révélatrice d’une relation causale plus ou moins directe et dans un environnement donné – entre un phénotype pathologique et l’un des trois génotypes possibles, hétérozygote ou homozygote pour l’un ou l’autre allèle.

Étude épidémiologique des syndromes D.N.I.D., obésité, insulino-résistance

Dans les travaux français sur l’obésité, ce sont 185 adultes non apparentés, consultant en service hospitalier de nutrition, qui ont été étudiés. Ces personnes souffraient toutes d’un excès de poids considérable, avec un index de masse corporelle (I.M.C.) supérieur à 40 (l’I.M.C. se calcule selon la formule poids [kg]/(taille
)2, de sorte qu’un I.M.C. de 40 équivaut, par exemple, à un poids de 130 kg pour une taille de 1,80 m). Plus du tiers des personnes testées étaient par ailleurs diabétiques, et 15 p. 100 présentaient une insulino-résistance. Les comparaisons génétiques et phénotypiques ont été effectuées avec 95 personnes d’I.M.C. moyen de 25.

Pour étudier le D.N.I.D., les Américains, eux, se sont intéressés à une tribu indienne d’Arizona: les Indiens Pima. La forme allélique du gène du récepteur 廓3 a été recherchée chez 390 Indiens diabétiques et 252 non diabétiques. Une première comparaison a été effectuée entre ces deux groupes, puis le polymorphisme génétique observé globalement chez les Indiens a été comparé à la distribution des deux allèles dans des groupes de population hispanique, noire et blanche.

Quant aux travaux finlandais, menés en collaboration avec des Suédois, ils reposent eux aussi sur l’analyse de 128 diabétiques et de 207 sujets témoins, avec comparaison des génotypes et des degrés d’insulino-résistance. On remarque la présence de dix-sept paires de faux jumeaux, qui ont permis de comparer la manière dont s’expriment deux génotypes différents, homozygotes pour l’un ou l’autre allèle notamment, chez deux frères ou sœurs aux conditions d’existence par ailleurs aussi proches que possible.

De l’une à l’autre de ces populations, les observations sont d’une remarquable concordance. En premier lieu, l’hypothèse de départ s’est trouvée partiellement infirmée: en effet, dans un groupe de malades, la fréquence de l’allèle muté ne s’est jamais révélée supérieure à ce qu’elle était dans le groupe témoin associé. Le gène du récepteur 廓3-adrénergique et l’allèle Arg 64 n’apparaissent donc pas comme des facteurs de survenue d’une obésité ou d’un D.N.I.D. Cet allèle est observé avec une fréquence de 10 p. 100 dans les populations française et finlandaise, et de 30 p. 100 chez les Indiens Pima, mais toujours selon des distributions indépendantes de la maladie. Cela a pu surprendre si l’on pensait tenir là un élément substantiel du déterminisme du D.N.I.D. Mais il faut garder à l’esprit la différence d’ordre de grandeur entre les amplitudes métaboliques régulées par le récepteur 廓3 chez la souris et chez l’homme.

C’est en fait sur des nuances des phénotypes que des écarts ont pu être observés et imputés à des différences du génotype. Partout, en effet, est retrouvée la notion d’une morbidité non pas provoquée, mais accentuée par l’allèle Arg 64. Ainsi, le risque d’obésité n’est pas supérieur pour les personnes homozygotes pour l’allèle Arg 64, mais l’obésité, lorsqu’elle est présente, est aggravée par ce génotype. Parmi les obèses français, la présence d’un allèle Arg 64 est associée à un I.M.C. moyen de 51, contre 47 chez les homozygotes (Trp 64), à une prise de poids plus marquée durant les vingt-cinq dernières années (67 kg contre 50 kg en moyenne), enfin à un écart plus important entre poids maximal atteint dans l’existence et poids à l’âge de vingt ans (74 kg contre 58 kg).

Des constatations analogues ont été effectuées chez les Indiens Pima. L’existence d’un diabète est indépendante du génotype au niveau du gène du récepteur. Il reste que l’âge moyen auquel apparaît la maladie dépend, pour partie au moins, des formes alléliques portées par chaque individu. Ainsi, chez les Indiens portant deux allèles Trp 64, le D.N.I.D. apparaît en moyenne à quarante et un ans, alors qu’il survient à quarante ans chez les hétérozygotes et à trente-six ans chez les homozygotes (Arg 64). Cette relation de proportionnalité entre précocité de la maladie et nombre d’allèles Arg 64 confirme le statut de susceptibilité associé à cet allèle et suggère en outre un mécanisme assez direct, puisqu’une relation “dose-effet” reste perceptible.

Ces notions sont confirmées par les travaux finlandais: en effet, parmi les diabétiques étudiés, l’âge moyen d’apparition de la maladie passe de soixante et un ans chez les homozygotes (Trp 64) à cinquante-six ans chez les sujets porteurs d’un allèle Arg 64. Ce décalage semble devoir être imputé à l’installation plus précoce d’une insulino-résistance en présence d’un allèle Arg 64, ainsi qu’on a pu le constater chez des couples de jumeaux.

Interprétation. Origine de l’allèle d’épargne

L’interprétation des effets aggravants de l’allèle muté demande encore deux autres résultats, l’un confirmant la fonction métabolique du récepteur, l’autre permettant de comprendre sous l’angle évolutif la distribution du polymorphisme du gène dans différentes populations.

Concernant la fonction métabolique du récepteur 廓3, l’équipe américaine a pu vérifier l’implication de ce récepteur dans la régulation du métabolisme de repos. Les mesures calorimétriques indirectes, par détermination de la quantité d’oxygène consommé par une personne en chambre respiratoire, indiquent que les dépenses énergétiques de base des sujets homozygotes et hétérozygotes pour l’allèle muté sont inférieures respectivement de 82 kilocalories par jour et de 36 kilocalories par jour en moyenne à la dépense des sujets homozygotes pour l’allèle Trp 64. Or on sait par ailleurs qu’un écart de consommation énergétique de 70 kilocalories par jour suffit à faciliter un gain de poids. Il semble donc bien que c’est en tant qu’allèle d’épargne, minimisant la lipolyse au repos, que la forme Arg 64 aggrave les manifestations des troubles pléthoriques.

Concernant le polymorphisme du gène codant le récepteur 廓3, l’observation d’une fréquence particulièrement élevée de l’allèle Arg 64 chez les Indiens Pima constitue le résultat le plus remarquable. Cette fréquence est de 30 p. 100, soit trois fois plus que dans les populations européennes, mais aussi trois fois plus que la fréquence relevée par les Américains dans les groupes de Mexicains, de Noirs et de Blancs servant de témoins pour l’étude. L’explication qu’on en donne est que la capacité d’épargne énergétique, qui se serait développée durant des siècles de pénurie alimentaire chronique, a constitué un facteur de survie, et que l’allèle Arg 64 a par conséquent été sélectionné positivement chez ces Indiens. Un équilibre énergétique relevant d’une sorte d’homéostasie dans laquelle sont impliqués un terrain génétique, un environnement et un comportement, on comprend qu’un bouleversement des conditions d’existence dans le sens de l’abondance transforme un facteur de résistance en facteur de fragilité. La leçon qu’on en tire est que l’abondance après la restriction ne permet pas encore à chacun d’ajuster sa consommation à ses propres besoins.

Applications thérapeutiques

Reste l’aspect médical des choses. Stimuler pharmacologiquement l’activité 廓3-adrénergique est un problème face auquel on dispose en principe d’un certain savoir-faire. On utilise depuis longtemps déjà, contre l’hypertension artérielle, des 廓-bloquants, qui inhibent les récepteurs cardiaques et vasculaires, ainsi que des 廓2-mimétiques, actifs sur les récepteurs du muscle bronchique et qui permettent de dilater les voies respiratoires chez les asthmatiques. De la même manière, on pourrait tenter de stimuler la lipolyse par des molécules sélectionnées pour leur activité agoniste du récepteur 廓3. La principale difficulté consiste à trouver un agoniste suffisamment spécifique de ce récepteur pour éviter les effets latéraux cardiaques et pulmonaires.

En pratique, l’industrie pharmaceutique n’a pas attendu la publication des travaux français, américains et finlandais pour se lancer dans le développement d’agonistes du récepteur 廓3. Le marché potentiel est considérable – et solvable, s’agissant des pays riches. En fait, des essais préliminaires chez l’homme ont déjà eu lieu. Mais les résultats se sont révélés décevants. Si des agonistes du récepteur 廓3 stimulent la lipolyse de manière appréciable chez la souris, le même effet n’est pas retrouvé chez l’homme.

Cette efficacité des plus modestes est assez logique. Les agonistes essayés chez l’homme ont en effet préalablement été testés chez la souris, alors que l’activité du récepteur est sans commune mesure de l’un à l’autre organisme. Les travaux se poursuivent donc pour sélectionner directement chez l’homme des agonistes plus actifs. En toute hypothèse, la thérapie de maladies multifactorielles devra elle-même être multifactorielle. Passer outre, en exerçant une pression pharmacologique puissante sur le métabolisme, pourrait donner des résultats, mais sans doute pas d’équilibre. Il s’agirait seulement d’adapter à certaines formes de consommation des gens qui en deviennent malades, quand le problème posé semble être plutôt l’inverse.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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